Syliam-Fowx

Le renard qui possèdait une lettre en trop

Samedi 5 juin 2010 à 15:52

Samedi 5 juin 2010 à 15:54

Samedi 5 juin 2010 à 19:47



Je lui avais marché dessus. C'était idiot de s'arrêter, j'en avais déjà piétiné tellement d'autres. Les autres. Morts, ils ne valaient plus rien. Et moi, je m'en fichais de leur humanité. Je voulais juste rentrer chez moi, ok? Alors je courais, et je sauvais ma vie. Du moins j'essayais. Je m'en fichais, de la raison pour laquelle j'étais là. Je voulais juste finir de les anéantir pour revenir. Mais lui, c'était un brave gars, et j'avais un c½ur pour les braves hommes. Pas pour les autres, c'est certain, on n'avait pas le temps. Ca n'a duré que quelques secondes. J'ai vu ses doigts complètement cassés, tordus, démantelés, lorsque j'ai retiré ma chaussure. Sacrément lourdes ces godasses. La raison de sa mort? Je ne sais pas, j'ai poursuivi ma route, en fait. Il s'appelait Paul, on se tutoyait. Une balle dans le thorax? Dans la cervelle? Je continuais dans les herbes hautes, et tout ce que je peux dire, c'est que j'étais content de n'être pas à sa place. Je ne regardais même pas mes coéquipiers, j'avais oublié les instructions, j'étais fou, j'étais seul. Enfin non, nous étions deux : moi, et mon fusil. Sans aucune doute que je progressais trop vite, parce que je ne voyais plus Jet' et les autres. J'ai serré mon compagnon de meurtre dans les mains. Je m'étais drôlement attaché à cette arme, mine de rien. Qu'est-ce qu'on en avait déglingué ensemble. Qu'est-ce qu'elle faisait hurler les gens, et j'pensais, dommage qu'on ne se batte pas contre des femmes, parce que bordel, j'aurais aimé. J'ai posé mon doigt plus précisément sur la gâchette, j'avais une envie incontrôlable de tirer. Dans les hautes herbes, j'dois dire, j'aurais pas pu reconnaitre un humain ou un ennemi, j'aurais juste entendu le mouvement, et j'aurais flingué. C'est pour ça, que je courrais. Je voulais rejoindre la plaine. Clair que là-bas, je serais à découvert. Mais ces foutus sauvages aussi. Et là, je pourrais tuer. J'étais fou, j'étais seul, je voulais juste rentrer chez moi, ok? Au pays, je pourrais regarder le ciel. Parce qu'ici, prendre le temps de prier les étoiles, c'était les rejoindre. Même si j'avais plus de chance de finir en enfer, c'est vrai. J'avançais, j'avais un objectif. J'étais la connerie humaine. Il était la connerie humaine. Lui aussi, et lui aussi. Les sauvages également étaient emplis de conneries, mais est-ce qu'on pourrait la définir d'humaine? Rien qu'à entrevoir leur corps, j'aurais plutôt penché pour de la connerie porcine, ouais. Notre Etat, les hommes qui dirigeaient ce monde et cette guerre, j'aurais pu les insulter comme les autres, mais en attendant, ils buvaient du vin et moi du sang, ils prenaient leur pied et moi des balles, ils roulaient sur l'or et moi sur des corps, alors, est-ce que j'aurais oser les traiter de cons? C'était des sacrés salauds, mais loin d'être cons. Ils avaient gagné le monde comme j'aurais pu espérer gagner un poker. Leur jeu à eux, c'était de regarder le pion que j'étais courir, courir, oh tomber, alors regarder le suivant qui court, qui court... Quand j'aurais chuté, ils me remplaceront, alors je ne tombe pas, et j'avance. Je les rends heureux, et mon c½ur bat. J'ai entendu du bruit, j'ai braqué l'arme, tournant un peu sur moi-même, car la source n'était pas encore assez précise. Mozart, il m'a dit. Et Mozart, j'ai répondu. C'était notre code, j'ai baissé mon arme. Mêlé un artiste à cette tuerie, c'était pas inadmissible, franchement? J'aurais pu répondre Ta gueule, et il aurait bien compris, qu'on parlait la même langue. J'aurais pas mélangé ce génie à ma salive. Est apparu Gwenc'hlan, le mec au foutu prénom. J'aimais pas m'appliquer à prononcer pour des gens qui allaient crever, et j'ai dû dire un truc comme Guila, il m'a regardé de travers, mais il n'avait qu'un seul ½il, que j'aurais pas hésité à lui percer. J'l'aurais poussé à découvert, et regardé tituber comme un saoul, avant de se faire détruire par quelques mille balles à l'affût. Il a balbutié que Jet' était mort, que Rex avait fait demi-tour, que Côme et François courraient toujours, et que les autres, ils devaient être face contre boue parce qu'il ne les avait plus vu depuis longtemps. Quand il a prononcé ce dernier mot, j'me suis demandé depuis combien de temps je marchais. Le temps ici se compte en morts, le temps qui s'écoule de leur corps, le soleil cesserait de briller qu'on hurlerait encore aux armes, on brandirait nos cris, parce qu'ici, c'est un autre monde, pas le solaire, ok? J'ai dit à Guila qu'on s'en foutait, il n'a pas répondu oui, mais pas non plus non, alors c'était vraiment qu'il en avait rien à foutre, hein? Ou peut-être qu'il gardait le silence, parce que dans mon regard on lisait la folie, et que me contredire c'était s'abandonner? Il y a encore six mois, j'avais une vie, une toute tracée, paisible, et ma femme me souriait. J'étais normal? J'étais comme tout le monde, chaque nuit mes rêves étaient les mêmes que les autres, seulement on fait semblant de rêver de choses originales, n'est-ce pas? Je me croyais beau, parce que les autres me le disaient, et j'étais quelqu'un, parce que j'étais entouré d'humains. Mais il y a six mois, pour la première fois, on m'a dit que je n'étais rien, que j'étais un futur cadavre, et ça fait mal, vous comprenez? J'ai changé, parce que la mort vous change bien sûr. J'ai changé parce que tout ce que je pensais de moi-même était faux, j'ai réalisé qu'ils disaient vrai, je n'étais qu'un jouet, et j'aimais seulement jouer. On m'a posé là dans la boue, on m'a dit de survivre pour rentrer chez moi, et peut-être qu'ils y croyaient, peut-être qu'ils avaient envie que je rentre vraiment chez moi, ils avaient trop d'espoir, et moi, dès que j'ai vu ce champ sanglant, j'ai su qu'ils mentaient sans le savoir. Guila m'a parlé, et tout ce que je voyais c'était son visage se découper en deux, j'avais de ces visions parfois, alors je lui ai expliqué, qu'il était vraiment laid. Il a baissé les yeux au sol, comme s'il était vexé, du moins il avait l'air de l'être réellement, je l'ai trouvé minable. Mais j'ai eu pitié, y'a certains anciens sentiments qui refaisaient surface parfois, ceux que j'avais oublié, on oublie que ce qu'on veut bien n'empêche, est-ce que j'avais envie d'oublier mon humanité? Je crois que je l'avais juste mise de côté, parce que mine de rien, j'étais un homme vraiment bon, avant. C'est affreux de se dire, avant, et après, couper la vie en séquences, faire semblant de repartir de zéro, comme pour oublier qu'on avait vécu avant, fermer les yeux pour de faux, et continuer plus faussement encore. Je lui ai tapoté l'épaule, et ce fut la dernière fois que j'ai eu pitié, parce que j'ai saisis mon fusil, et puis j'ai couru. Ouais, j'lui ai tapoté l'épaule, et quelque chose m'a dit de me mettre à courir. J'ai obéi, parce qu'une telle pulsion, ça ne se retient pas. J'ai hurlé, de plaisir, je crois. J'ai vu ces sauvages, cinquante mètres plus loin, et c'était la plus belle vision qui soit, j'étais seul sur le champ de bataille, seul contre une horde de porcs à jambes. Guila a crié un mot, mon prénom? Non, je m'appelais sang, chair, meurtre, haine, je n'avais pas de prénom mais mille, j'étais le combattant fou. J'étais seul, je voulais juste rentrer chez moi. J'ai trébuché dans la boue, parce que je n'avais pas remarqué à quel point on s'y enfonçait dans cette merde. Au bout de quelques mètres. Est-ce que la folie ne fait parcourir que quelques mètres? J'me suis dit, tout ça pour ça ! Et c'était bien horrible de penser ça avant de mourir, comme si tout avait été vain, comme si j'étais né pour finir dans cette boue, à ce moment précis, et quand j'y réfléchis, j'aurais pu le deviner depuis le début. Je suis tombé, j'ai perdu mon fusil. J'ai relevé la tête, rapidement, dans mes yeux c'était marron. C'était marron et j'ai senti une balle me traverser la tête. Une autre dans le bras. Et puis une infinité. J'étais fou, j'étais seul, mais je ne rentrerai jamais chez moi. Qu'est-ce que ça faisait du bien, de se dire : Je suis mort.

Samedi 5 juin 2010 à 19:54




 
 
Je devais le tuer. Je devais la tuer. Nous étions destinés à nous entretuer. Je l'aimais, et il m'aimait. Aujourd'hui, encore. Seulement, je devais la tuer. Notre grande maison emplie des enfants que nous n'avons jamais pu avoir, sera la terre de meurtre. De son meurtre. Nous n'avons jamais fait qu'un, c'est faux. On se repoussait, on s'éloignait. Trois étages, un nous séparant, un vide. J'ai décidé de le tuer. J'ai décidé de la tuer. Il était tendre mais pas moi. Elle était douce mais pas moi. Ce n'était pas une pulsion, c'était tout réfléchi. Depuis le début, on le savait. Quand je lui ai dis oui, j'ai pensé mort. Quand je lui ai dis oui, j'ai pensé non. Mais je l'aimais, comprenez. Je ne refoulais pas ça. Je savais juste. Qu'elle allait finir ainsi, tuée, de mes propres mains. Lorsqu'on s'est rencontrés, j'ai su que ma survie dépendait de sa mort. Lorsque je l'ai vue pour la première fois, je la voulais morte en moi, morte pour moi. C'était l'amour le plus intense possible, elle m'arrachait tout ce qu'en ma mémoire j'avais conservé, pour le remplacer par sa vision, sa voix, son toucher, ses propres souvenirs. C'était insupportable. Parfois je me levais, la nuit. Et je m'approchais de lui, un couteau à la main. Il respirait fort, ça résonnait dans mon esprit, c'était trop bruyant, c'était lui, c'était tout dans ma tête. Je voulais qu'elle en sorte, l'oublier. Je devais la tuer. Mais je reculais, je retournais minablement dans la cuisine, emplie de ce qu'il avait mangé, pleine de ses déchets, chaque pièce me rappelait sa personne. Je reposais l'arme, et puis je pleurais. C'était trop grand pour moi, tout cet amour. Libère-moi... je lui murmurais à l'oreille. Ses yeux clos se moquaient, je le savais, il m'entendait, pourtant. Elle était là, et si je ne la tuais pas, je savais que ce serait pour toujours. On ne pouvait pas s'éloigner. Rien ne nous séparait. J'étais lui. Elle était moi. Mais nous étions deux, et nous avions peur. Il ne pensait pas comme moi, mais il constituait mes pensées. On ne pensait pas pareil, mais on pensait à l'autre, et à rien d'autre. Lorsqu'il me prenait dans ses bras, j'étais seule. J'étais enfin seul. Lorsqu'il n'y avait que moi, je n'étais rien. Ni moi, ni seul, ni personne, ni quelqu'un, ni prénommé, ni elle. Je voulais que mon nom et mon âge soient les miens, je voulais me retrouver, comme avant. Je devais en finir, et rien ne pourrait me faire changer d'avis. Nous le savions. J'aurais pu mourir, mais c'était elle la coupable. Pourquoi aurais-je mis fin à mes jours? Je voulais connaître la vie, qu'elle cesse, qu'elle me quitte, qu'elle soit morte. Ce jour-là, nous nous sommes aimés comme jamais. Ce jour-là, toute ma personne a disparu, pour n'être plus qu'elle, plus qu'en elle. Je l'aimais mais pas d'amour. Je l'aimais de mort. Pour la mort. Alors, j'ai quitté les draps. Il s'est levé, j'ai plongé ma main dans le tiroir. Ce qu'on venait de vivre, était bien plus que paradisiaque. Je lui en voulais. J'ai saisi le couteau par la lame. J'ai pris le couteau de cuisine, le même, que celui de ces longues nuits à viser mentalement sa gorge. Je suis remonté, au premier étage, le seul où nous nous retrouvions, notre chambre. Je l'ai entendu gravir les escaliers, son corps léger plein de grâce, c'était tout comme si je vivais en lui, je connaissais par c½ur chacun de ses mouvements, le moment où il caresserait de son index le mur de gauche, celui où il tournerait la tête vers notre portrait de mariage, et ce ne fut jamais autrement. Je savais tout. Sa tête penchée vers la droite, son corps soutenu par son coude, sa jambe gauche légèrement repliée en dessous de l'autre, son dos courbé gracieusement. Je savais, que lorsque j'entrerai, elle serait ainsi, et ce ne fut jamais autrement. A part peut-être ce sourire. Inhabituel. J'ai senti ma peau se hérisser, j'ai passé ma langue sur mes lèvres, j'ai serré les doigts sur le manche, dissimulé sous les tissus. J'étais un félin. J'allais bondir. J'allais revivre. J'allais le tuer. J'allais la tuer. Il n'a rien dit, il a pénétré la pièce, son corps nu scintillait dans l'obscurité. J'avais encore envie de lui, comme toutes ces fois, cette envie de mettre fin à ses jours sans parvenir à empêcher ma main de parcourir sa peau. Tout allait finir, et pourtant elle était si belle, oui. Et si je gardais une mèche de ses délicats cheveux? Non, ne pas se poser de questions. Il se rapprochait. J'étais au bord de la couche, mes genoux tout contre le matelas. Il me regardait de haut, sans se douter qu'il allait tomber à mes pieds. Elle se prélassait, sans se douter qu'elle allait tâcher de rouge la blancheur. Son regard pénétrait le mien. Pour la première fois, je ne fus pas déstabilisé. Ma main ne tremblait pas non plus. Non, je n'avais pas peur. J'allais être heureuse. J'allais renaître. Ce oui se perdrait à tout jamais dans les limbes de ma mémoire. Seulement un souvenir. Un souvenir. Un mauvais souvenir? Non, ne pas se poser de questions. J'ai pris une grande inspiration. J'ai sorti l'arme de derrière mon dos. Je n'avais même pas vu, sa main dissimulée. La sienne non plus. J'ai frappé, dans le ventre. Dans la poitrine. Encore. Encore. Encore. Encore... Il était mort. Elle était morte. Un dernier regard. Ses lèvres entrouvertes d'où jaillissaient le sang. Qu'il était beau. Qu'il était mort. Je ne sentais plus rien. Mes doigts paralysés ont lâché le couteau. Mon cou s'est raidi sur l'oreiller. Il ne restait plus rien de moi. Non, plus rien... A part mon amour.



Lundi 7 juin 2010 à 12:37

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